Premiers jours de voyage

Publié le par filou-from-mars

 
Si le descriptif d'un voyage se limitait à la somme des points joints sur une carte, les quelques lignes qui vont suivre devrait suffire. De Marseille à l'ile du Frioul le 3 mai au soir puis traversée de 20 heures vers les côtes espagnoles le 4 et 5, arrivée à Llansa pour avitaillement, puis mouillage à Puerto Lligat le 5, pose internet-météo le 6 à Cadaquès et traversée de 24 heures vers Minorque jusqu'au 7 au soir...même le livre de bord est plus exhaustif.
Ce voyage, c'est un petit peu plus, c'est un projet hédoniste certainement, à contre courant d'une ambition de suivre les impératifs d'une vie qui s'écoule et qui s'impose à elle même. Une envie d'infléchir un rythme qui dépasse, de prendre le temps de vivre autre chose, de prendre le temps d'y associer les proches...et de tout simplement voir ce que ça fait.
Parti de Lyon, après une dernière garde, un pied à terre, l'autre au port, le premier déplacement me menait à notre bateau, à Marseille. Filou attendait sagement, ses voiles frissonnant des projets qu'elles entendent depuis quelques mois. Une dernière semaine de préparatifs, où chaque jour la liste des choses à faire augmentait paradoxalement, me séparait du départ. Certains aiment à dire le grand départ. Je n'arrivais pas à le ressentir comme tel. Les derniers mois ont été intenses. Depuis un an que nous avons achetés à quatre Filou, ce monocoque de 37 pieds, un peu moins de 12 mètres, nous avons finalement assez peu navigué. A peine un mois en tout et pour tout, histoire de voir ce que nous avions acquis pour nous servir d'abris et de moyen de transport pendant un an. Salon nautique, consultation de blogs d'autres voyageurs, discussions nombreuses, négociations sans fin et pas mal d'apprentissage des rudiments du bricolage marin ont remplis plus certainement nos week-ends que les quelques jours à voguer.
Bizarrement, au moment de partir, je ne réalisais pas, je n'étais pas submergé de l'émotion que j'aurais pu imaginer. Il fallait quitter le vieux port, quitter tous ces consultants en préparations de bateaux, ces semi-professionnels, ces guides plus sûrs, ces vrais navigateurs temporairement à quai, il fallait commencer à vivre notre voyage, l'émotion viendrait après. Ce jour là, nous étions 3, Laurène, l'ami Gilles et moi. Une première nuit au calme du Frioul, faisant face à la Bonne Mère, histoire de prendre le recul nécessaire à un adieu, comme sur le quai de gare où longtemps on voit l'autre immobile alors que le train part. Après quelques bulles de champagne pour marquer le coup, une nuit de sommeil la-dessus, nous décidons de faire route à l'Ouest vers l'Espagne, les vents étant défavorables à une descente directe aux îlesBaléares. S'en remettre aux vents pour orienter nos premiers bords et notre première destination me plaisait bien...La mer était assez formée, le vent modérément soutenu et moi malade mais vraiment malade pendant les huit premières heures, histoire de rassurer Laurène, de mettre Gilles en situation de gérer en solo la situation...ça commençait bien. Je luttais pour reprendre le dessus, assumer un temps de quart et permettre à Gilles de se reposer. Les éléments se calmant, la fin de nuit et l'arrivée en Espagne seront tranquilles. Un petit clin d'oeil à la famille Mac en accostant au port de Llansa où on a pu faire de si belles fêtes.
Le moral est bon, il n'y a que très peu de monde en cette saison. Un grand nettoyage du bateau s'impose, surtout pour moi, responsable de la plus grande part du carnage intérieur.
Llansa étant trop urbain pour nous, nous reprenons rapidement la mer vers le Cap Creus, réputé pour ces mers fortes, ces vents changeants. Il a mérité sa réputation. Au nord, le vent est doux, s'estompant, faussement rassurant à son abord. A quelques dizaine de mètres, la mer semble plus formée, sans raison apparente. Nous nous engageons, incertains. En quelques minutes, le vent est monté, les vagues perçues au loin, frappent la coque de face. Ce qui devait être une simple recherche de mouillage paisible s'est transformé en un belle bataille de longues minutes pour remonter l'étroit chenal jusqu'à notre abri...Le mouillage de Puerto Lligat, fief de Dali, sera notre havre de paix pour cette nuit bien méritée...à 10 heures tout le monde dormait. L'oeuf imposant de la demeure de l’excentrique à moustache veille sur nous.
Dimanche 6 mai, cela aurait dû être une journée de citoyenneté, à faire la queue dans une école, une décision murement réfléchie à valider derrière un rideau, une après midi à discuter politique et une soirée à se réjouir ou inversement à s'inquiéter de l'avenir laissé aux manettes de la concurrence. Cela a été une belle grasse matinée, quelques tortillas à la terrasse d'un café branché de Cadaquès à récupérer météo, à tester notre liaison skype, à télécharger des émissions de radios pour les nuits de quarts. Les sites belges nous ont prévenus de la victoire assurée du candidat socialiste. On ne fait pas de politique sur le blog...mais bon ravi tout de même que le vent tourne. Je dois avouer qu'en terme de changement, on n'a pas lésiné Les commentaires de France Inter seront à peine perçus en grandes ondes alors que nous nous éloignons de Cadaquès pour Minorque. Tulles est loin, la Mutualité aussi...Un léger vent de travers nous permet de partir à la voile. Une énorme lune rousse se lève sur la mer. La mer est calme. Le vent tombe. Le reste de la navigation se ferra au moteur, quart en solo pour que chacun dorme au mieux. Quatre heures de suite, un luxe de marin qu'on apprécie. Jean Clause Ameisen et Daniel Mermet accompagneront mon quart au milieu d'une nuit très claire.
Les côtes nord de Minorque paraissent assez sauvages, quelques villages de vacances parsemant ici et là les baies encaissées. Nous choisissons Port Fornells, une immense baie s'ouvrant par un petit corridor de trois cents mètres en suivant un alignement formé par deux tours clignotant rouge plein sud. C'est une baie peu profonde, de plusieurs anses où un petit port s'est niché. Son nom rappelle la domination anglaise de Minorque il y a deux siècles. Une appétence notable pour le Gin en est restée paraît il. Nous mouillons par 5 mètres de fond près d'une plage que nous voyons à peine la nuit étant tombée.
Je me réveille le premier. Il est étrange comme se lever tôt peut parfois être plus facile que d'autre. Je me plonge dans la bible du marin, les cours des Glénans. Certaines manœuvres de voile gagneraient vraiment à être un peu plus fluides. Un peu de théorie de fait pas de mal. Mes colocataires se réveillent à leur tour. Chacun œuvre à ses occupations. Laurène entreprends un poulet carotte de son invention. J'entreprends de débuter la listes des aménagements restant à faire. Notre éolienne n'est en effet pas encore fonctionnelle. Câblage, pose de fusible sont au programme autrement dire un travail de contorsionniste et de spéléologie à la fois. Dehors, le vent a forci depuis hier soir. Les planches à voile sont de sortie dans la baie. L'anémomètre frôle désormais les vingt nœuds. Nous prenons connaissance de l'endroit qui nous avait accueilli dans l'obscurité. Derrière nous, le rivage est à une vingtaine de mètres. Entre deux fils à dénuder, j'interpelle Laurène qui est dans la descente de l'escalier trouvant le mouvement du bateau anormal... « On a décroché ». Les trois mots suffisent à mettre Gilleset Laurène sur le pont. En terme moins marins, cela veut simplement dire que l'ancre glisse sur le fond et ne nous retient plus totalement. Un peu comme garer sa voiture en pente et mal serrer le frein à main...ça arrive généralement dans une vie d'automobiliste. Pour les voileux, c'est un peu pareil. Il est fort inconvenant pour un voilier de quitter ses eaux supportrices. Et quand on s'en rend compte, on n'est pas bien fiers et quelques peu désemparés. Nous partons donc pour trois heures de manœuvres pour éviter au bateau de finir sur la côte. Gilles et Laurène passeront à l'eau pour aller vérifier où est l'ancre, m'aider à en mettre une deuxième. Heureusement l'eau est bonne me diront ils. Ce sera notre première avarie à gérer. La quille touchera les fonds mais nous avons évité le pire.
Peu fiers de la piètre qualité de notre mouillage, nous mangerons le poulet de Laurène en débriefant de ce que nous aurions dû et pas dû...Restera à plonger demain pour voir ce que notre embarcation a comme stigmates de notre approximation.
Soirée tristounette sur Filou, le moral a brutalement chuté...même l'éolienne refuse de fonctionner comme elle devrait. La fatigue est franche.
La nuit a été calme pour le bateau, mon sommeil beaucoup moins. J'ai sursauté à plusieurs reprises, suis sorti aussitôt sur le pont pour vérifier que tout allait bien. La baie est pourtant un lac. Un homme averti en vaut deux. Nous étions beaucoup cette nuit à être averti.
Enfin. Enfin, un réveil comme dans les brochures. Les collines environnantes se réchauffent du soleil qui se lève. Les coqs chantent. Les maisons blanches du village sont endormies. Embrumé de ma mauvaise nuit, je me délecte de ce calme. La journée sera dans la continuité de ce doux réveil. Baignade pour le plaisir cette fois, plongée de repérage sous la coque, les dégâts ne semblent pas trop importants, Filou peut continuer à voguer. Il y aura tôt ou tard un liefting à prévoir mais bon, la coque est intègre. Petite ballade à terre, restaurant fort agréable, quelques courses et nous quittons port Fornells pour la grande ville de Minorque, Mahon.
 IMG 1948

Publié dans Méditerannée

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C
Je viens de lire toute votre aventure. Ca fait rêver. Bien sur je m'identifie à Laurène qui ne ferme pas un oeil de la nuit trop stressée de chasser. Profitez bien. Ca fait du bien de vous lire par<br /> temps de pluie sur Lyon et de vous imaginer, si loin, au soleil, heureux. Bonne route.
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F
La bise à tous les 3, donnez des news!
F
La bise à tous les 3!
L
La barre est haute et merci pour ton partage. J'ai hâte de découvrir votre prochain article et de continuer à suivre votre évasion!<br /> Plein de bonheur à vous, capitaines et moussaillons!
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E
Je vois que vous avez de quoi vous occuper sereinement.<br /> Mets bien tes écrits de coté si par hasard, au retour , te prenait l'envie de publier l'histoire de jeunes navigateurs autour du monde.<br /> Bises à tous<br /> Bon vent<br /> Gérard
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D
Jolie billet Jean Marc! Tu nous as fait rêver jusqu en Indonésie! On a lu tes lignes comme si on y était , un vrai régal. On aurai vraiment aimé vous voir arriver à Llansa!<br /> Bon vent à tous Dav&Cat.
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P
Classe, tu as un réel talent pour l'écriture mec.<br /> C'est un régal de lire ces quelques lignes, vivement le prochain billet.<br /> Je suis content de voir que vous allez bien, bon courage pour la suite, et bon vent!<br /> Bises.
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