Mauvaise tenue

Publié le par filou-from-mars

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Hier à la même heure, nous finissions nos quarts à l'approche de Rarotonga, après quatre jours de mer. C'est l'île principale des Îles Cook. Une île volcanique majestueuse que nous avions déjà pu apercevoir de plus de 60 miles la veille au couché du soleil. Son unique cratère éventré évoquant l'île noire de Hergé culmine à près de 600 mètres.

La nuit a été très calme. A peine un petit vent d'Est qui ne gonfle pas suffisamment les voiles nous contraint à mettre un peu de moteur. Celui-ci est de toute façon endommagé et ne supporte plus le haut régime, une "crasse dans la pompe à injection" à assumer de diagnostiquer Gérard. Boris et moi avons pu changer les deux filtres à fuel dans la journée ce qui a permis de redémarrer malgré tout. Mais voila, pas plus de 1200 tours/ minutes, ce qui en terme de vitesse nous permet de nous maintenir péniblement à 3 noeuds dans cette mer calme. De quoi arrivé au petit jour dans cette île que nous ne connaissons pas, c'est parfait.  

Depuis hier, nous ne nous sommes pas vraiment reposés. Nos quarts semblent pourtant bien loin.

 

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Rien que l'approche du petit port de pêche de Avatiu n'est pas simple. Nous avons tous en tête que la moindre petite humeur de notre moteur peut rendre les choses très compliquées. Je réveille tout le monde pour qu'ils profitent du levé de soleil sur l'île mais surtout qu'ils soient près pour cette arrivée potentiellement difficile. Chacun a son poste. Boris et Laurène sont à l'avant et s'affairent dans la baille à mouillage pour mettre l'ancre à poste. Ils devront la lâcher au moindre problème pour nous éviter de dériver sur la côte en cas de panne. Je suis tout de même confiant, la machine a tenu à bas régime toute la nuit. Manue et gérard sont dans le cockpit pour préparer des amarres, des pare-battages au cas où. La VHF grésille d'une conversation de pêcheurs chinois qui vocifèrent pour couvrir les bruits des machines de leur thonier.

Les bouées rouges et vertes de l'entrée du port sont en vue. Nous enroulons le génois. Je garde deux ris dans la grand voile pour rester manoeuvrant en cas de problème. Nous apercevons un autre voilier mouillé cul à quai. Nous visons de nous mettre à ses côtés. Le temps est calme. Le contact radio s'effectue facilement avec le capitaine du port qui nous assiste dans la manoeuvre. Manue et Laurène assurent la communication en anglais avec ce citoyen de Nouvelle-Zélande. Un anglais fort de son accent loin des standards de Cambridge. L'ancre est lâchée à une trentaine de mettre du quai. 25 mètres de chaine devrait suffire dans ces conditions. Je recule à présent tranquillement, la marche arrière fonctionne aussi à bas régime, bonne nouvelle. Plusieurs tentatives sont nécessaires pour que nous puissions réceptionner une amarre lancée du quai et qu'ils en récupèrent une. Il faut rabouter plusieurs des nôtres pour avoir la longueur nécessaire et maintenir le bateau à distance du quai. C'est chose faite. La capitaine du port nous demande de hisser la drapeau jaune pour signifier aux douanes que nous venons des eaux internationales. Je farfouille en vain dans nos coffres. Pas de trace de drapeau jaune. Un paréo du même ton ferra l'affaire. 
Comme d'habitude, les formalités d'arrivée prennent un temps fou. Je pense avoir recopier une demie-douzaine de fois les numéros de passeport et dates de naissance de chacun d'entre nous entre les documents de la capitainerie,  des affaires maritimes, des représentants du ministère de l'agriculture et des douanes. Cela contribue à signifier dans le plus concret des aspects notre caractère étranger à ce petit bout de terre. Laurène et Boris tentent sans trop de succès de conserver quelques fruits et légumes frais mais la sanction est sans appel, il faut tout bruler, protection contre l'invasion de l'île par une petite mouche se nichant dans les fruits. 
Une fois finalisées ces formalités, nous partons à la recherche du moyen d'aller observer les baleines. Elles sont là, nous le savons, la secrétaire du port nous l'a assurés. Après une petite ballade nous finissons par trouver le fameux "Whale Watching Center", Un joli petit bâtiment décoré de mammifères marins en motifs maoris.  Le temps d'un bon café, nous avons pu nous organiser une sortie plongée pour le lendemain et prendre des informations sur les lieux d'observation le long de la côte. 

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Autre chose importante à faire: manger une bonne pizza. C'est étonnant comment les pizzas et les frites reviennent souvent comme premier plat après une croisière, marques basiques de modernité sans doute. Le temps de nous rassasier dans le restaurant qui exaucera notre voeu, les conditions climatiques sont en train de changer. Le soleil a fait place à un régime d'averses régulières et le vent a tourné. Il est au Nord à présent donc face à l'entrée du port où nous mouillons.

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Au moment de rejoindre Filou, nous apercevons son mât qui se ballade à grande amplitude de droite à gauche. Il y a à présent des vagues formées dans le port qui chahutent notre voilier. Les 25 mètres de chaine lâchés le matin sont peut-être un peu faible étant données ces conditions. Nous décidons de renforcer notre installation. L'un des responsables du port nous indique qu'il a une ancre immergée et de bonne taille à notre disposition pour sécuriser le tout. Trop content de jouer à cet interville improvisé, je me jette à l'eau, un long bout en main pour aller relier cette deuxième ancre à la proue de Filou. Un petit attroupement de badauds observe cet équipage de frenchies qui s'affairent autour de leur petit voilier. C'est vrai qu'ils sont courageux ces gaulois comme contre nos rugueux All Blacks. Je ne me sens pour autant pas la carrure d'un Chabal mais bombe le torse une fois l'ancre reliée. Ce regain d'activité à retarder un des autres temps fort de notre arrivée. C'est toujours appréciable une vraie douche après quelques jours de mer à se rincer à l'eau salée. 

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Avant de quitter à nouveau Filou pour cette eau douce et chaude qui nous tend les bras, je vais à nouveau observer l'avant du bateau. Le vent a encore forci. Les rafales doivent vraisemblablement dépasser les 25 nœuds. Sur les plus grosses vagues, l'avant de Filou décolle de plus d'un mètre cinquante tendant les amarres reliées aux ancres dans un grincement inquiétant. Je demande à Boris de rester avec moi à bord pour tenter de sécuriser un peu mieux encore tout ça. Il faut mieux répartir la charge entre les deux ancres. L'ancre du port est au maximum de la tension. Par contre, nous pouvons reprendre un peu de longueur sur la notre. Cela soulagera le montage. Alors que je manipule l'attache de notre ancre, un bruit sec retentit indiquant que l'amarre de la deuxième ancre vient de lâcher. En quelques secondes, le bateau se rapproche du quai. Il est encore tenu mais par une seule ancre et 25 mètres de chaine. 25 petits mètres de chaine. Je ne suis plus du tout confiant. Manu, Laurène revenues pimpantes de leur douche sont à bord à présent. Impossible de reprendre le bout cassé de la deuxième ancre qui a coulé à pic. Les eaux du port sont trop boueuses pour qu'on voit le fond et qu'on tente de plonger pour le retrouver. Dans l'urgence de la situation, je décide de refaire la manoeuvre en mettant au moins le double de chaine sur notre ancre principale puis de mettre notre deuxième ancre par la suite. Dans l'ordre, nous devons larguer les trois amarres à quai, remonter notre ancre, avancer de 50 mètres au moins, mouiller à nouveau puis à l'aide de notre annexe aller porter la deuxième ancre loin devant le bateau et la reprendre ensuite à la main depuis le pont. Beau programme. Il nous faut donc à nouveau faire confiance à notre moteur. Il démarre sans problème et nous entamons les festivités. Tout se passe comme prévu. Les amarres sont reprises, l'ancre remonte tranquillement grâce au guindeau et notre moteur nous maintient face au vent. Tout se passe comme prévu jusqu'à qu'une rafale commence à prendre le dessus et que tranquillement notre bateau se retrouve à nouveau face au quai. L'ancre est à bord. Je tente à nouveau de me retourner mais aussitôt que j'offre les flancs du voilier au travers, la prise au vent est trop forte, la puissance du moteur insuffisante et je ne peux remettre Filou face au vent. Il se rapproche dangereusement du quai où s'éclatent les vagues. Une petite troupe de personnes s'accumulent pour accueillir le voilier et tenter de limiter la casse quand malheureusement il accostera. La loi de Murphy est alors intervenue. Alors que je tente la manoeuvre en marche arrière, le moteur s'étouffe. Je le rallume aussitôt mais en vain. Il est bloqué. Je demande à Boris de se jeter à l'eau pour amener un bout au bateau d'à côté. Chose surprenante, il a dû négocier avec le capitaine qui ne voulait pas spontanément nous aider. 
Le bateau va toucher le quai dans quelques secondes. Je n'ai pas de solution. J'imagine déjà la sympathique discussion avec notre assureur et les longues semaines à Rarotonga. Heureusement ça a l'air joli. Ils ont peut être besoin de médecins dans le coin. La pédopsychiatrie en anglais ça doit être jouable et Laurène réussira bien à soigner les maladies locales. C'est fou ce que le temps est long dans l'attente inactive d'une catastrophe annoncée. 
Puis le bateau s'arrête comme suspendu dans sa chute. Nous sommes à trois mètres à peine du quai. C'est incompréhensible. Les dieux des mers sont avec nous. Devant ce sursis inespéré, nous sortons notre deuxième ancre du coffre, chargeons les cinquante mètres de chaine sur l'annexe et je me dépêche d'aller la mettre le plus loin possible du quai. C'est une véritable course contre la montre. Ce qui bloque le bateau peut lâcher d'une seconde à l'autre. Boris, Manue et Laurène grognent à chaque brassée du bout reliée à l'ancre qu'ils reprennent dans une énergie décuplée. Les nerfs sont à vifs. De mon côté, je pousse l'avant du bateau avec le faible moteur de notre annexe. Peu à peu, le bateau se redresse. Alors que je charge la deuxième ancre, un bateau de pèche au gros vient nous assister. L'énergie du désespoir semble communicative. Le marin qui m'aborde me crie les directives, un grand sourire animant son visage. Alors que je charrie la chaîne par dessus l'annexe en évitant de me coincer un doigt, il m'encourage avec le même enthousiasme.  
Le bateau est hors de danger maintenant. 
Dernier soubresaut d'énergie, il faut élucider cet énigme du bateau suspendu à quelques mètres du quai tout à l'heure. Laurène propose d'aller voir l'hélice. Il fait nuit noire.
Boris plonge sous le bateau avec une lampe pour comprendre ce qui nous a retenu miraculeusement. Le bout de l'ancre qui avait lâché il y a deux heures est celui qui a sauvé notre bateau. Il est coincé dans l'hélice. Un coup de couteau libère enfin Filou. La manoeuvre est finie. 
Nous prenons enfin le temps de nous doucher, les mains brulent un peu sous l'eau chaude. A force de tirer de toutes nos forces sur les bouts, la peau a souffert. Les courbatures se font un peu ressentir. Peu importe. Filou est sauvé.
Le petit punch passe bien. Les fortes rafales et l'énorme averse de la nuit n'y changeront rien.
A nous les baleines! 

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Publié dans Pacifique

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M
mais tu nous fais de ces frayeurs avec tes récits!!un peu de rêve cependant avec la pluie de notre bonne vieille terre française ...bonne continuation les loulous!!!
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E
La panne de moteur au milieu du Pacifique, alors que nous n'avons pas vu âmes qui vivent (à part celles des poissons et des oiseaux) ni dans le ciel ni sur mer depuis 3 jours est une expérience<br /> fort intéressante à vivre. je tairai celle de l'attente sur le quai (grelottant dans mon maillot de bain) d'un voilier à la dérive, en essayant de prévoir comment l'empêcher de se fracasser...Mais<br /> les dieux de la mer étaient là...<br /> Heureusement nous avons pu nous réconforter plus tard par quelques bières et de bons concerts locaux.<br /> Bises et bon vent<br /> Elgé
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