L'atoll aux trois vahinés

Publié le par filou-from-mars

Nous avons fait une courte escale de quelques jours sur une île toute particulière après avoir quitté Rarotonga. Une île à trois jours de navigation dans le nord des îles Cook, où aujourd’hui vivent 61 habitants, quelques cochons, quelques poules et pas un chien. Une fois les formalités de sortie faites à Rarotonga, c’est chargé du courrier et de quelques cigarettes pour les habitants de Palmerston que nous quittons le port de Avatiu. Notre première mission de postier-marin.

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Ce que je vais vous relater ici n’est que le retour des conversations échangées avec les autres bateaux, des lectures ici et là, ou tout du moins de ce qu’il en reste et le fruit de mon imagination quelque peu délirante. Toutefois, l’île de Palmerston a bien cette histoire si particulière qu’elle ne laisse pas indifférente.

Si l’objectif d’un conte est de d’instruire nos enfants, de les éduquer au travers d’allégories plus ou moins évidentes, l’île de Palmerston et son histoire pourrait jouer ce rôle. Une manière d’initier nos petits successeurs au monde d’adulte auquel ils vont tôt ou tard devoir se confronter…

 

Donc…

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Il était une fois…

Il était une fois, loin, très loin, là où on n’entend plus le vent dans les cocotiers, au-delà du lagon bleu, au-delà de la barrière de corail, au-delà des vagues qui grognent, au-delà de l’horizon où chaque soir le soleil descend, il était une fois une toute petite île. Certains l’appellent Palmerston ou l’île aux 3 femmes.

Je n’y ai pas toujours vécu, loin de là. Mon bateau s’y est échoué il y a maintenant quatre mois.

En ce jour spécial, j’allais quitter Palmerston et ses quelques habitants après ces quatre mois passés avec eux. Un grand feu flambait en mon honneur sur la place principale de l’île. Je regardais dans le sillage de mon voilier ces habitants si étranges que j’avais côtoyés depuis 4 mois. Ces 27 âmes et pas un chien de la petite île de Palmerston.

Comment j’ai atterri là ? Sans le vouloir, je vous l’assure. Alors jeune médecin, j’avais entrepris l’idée folle de naviguer en solitaire dans le Pacifique Sud. Mon itinéraire partait depuis la Polynésie où j’achevais mon service militaire à la Nouvelle Calédonie où je devais prendre mon premier poste au dispensaire de Lifu.

J’ai donc atterri là, il y a précisément 4 mois et une semaine. Au cœur du mois d’août de l’année 1967, bien loin de la saison cyclonique. Je m’en rappelle comme si cela venait d’arriver. Il n’y a pas eu de peur, pas eu de cri. Je m’étais un peu assoupi sur le pont, après quelques jours de navigation, quelque part entre la Polynésie et les îles Cook. Je faisais alors route vers Vavau, île du Nord des Tonga. Par une nuit calme et plus noire que les autres, alors que le vent gonflait pleinement mes voiles et que l’étrave de mon sloop anglais de 8 mètres fendait l’eau avec assurance, tout s’arrêta brutalement. Après un lourd craquement, plus un mouvement, plus un bruit, juste celui de la faible houle qui venait s’éclater sur les flancs de mon voilier légèrement incliné sur tribord. Tout s’arrêta, brutalement sans prévenir. Mon bateau, immobile, plaintif, la quille coincée sur ce qui semblait être un récif corallien à fleur d’eau n’irait pas plus loin. Pas tout de suite, en tout cas.

Ironiquement, la lune se leva alors, pleine, intense, une de ces lunes que les anciens appellent « les grandes lunes », présage disent-ils d’un grand changement. Je descendais dans mon petit voilier et eus la mauvaise surprise de sentir de l’eau à mes pieds. La coque avait dû se fendre sous le choc. Je ne pouvais de toute façon rien faire maintenant. Il me fallait aller à terre me protéger pour le reste de la nuit. Avec un peu de chance, cet îlot était habité.

Alors, comme en plein jour, je découvrais cette île perdue. Quelques motus clairsemés le long d’une barrière de corail encerclent un lagon peu profond. Je n’avais pas connaissance de ce petit atoll, référencé sur aucune carte. La nuit étoilée m’aurait pourtant permis de faire un point correct avec mon vieux sextant, cadeau du vieil amiral Le Troadec, comme il aimait qu’on l’appelle sur la jeté de Port Blanc. Mais, sûr de moi, je n’en avais pas éprouvé le besoin, convaincu que je naviguais en eau profonde et ce pour encore de longs jours.

Je jetais alors mon ancre juste devant l’étrave dans le petit mètre d’eau de profondeur. Un baluchon sur l’épaule, de l’eau jusqu’à la taille, j’avançais prudemment pour rejoindre la plage la plus proche, évitant les patates de corail clairsemées ici et là. Je ne mis pas bien longtemps à atteindre une petite plage de sable grossier. Epuisé, je me couchais alors à même le sol.

Au petit matin, recroquevillé sur moi-même, c’est les rayons du soleil à travers les grandes feuilles de palmiers qui me réveillent. Alors que je tente d’ouvrir péniblement les yeux, j’entends nettement une voix d’enfant m’adresser un « Hello Sir » dans un parfait anglais. Deux billes noires me regardent étonnées de me voir là.

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Je venais de faire la connaissance d’Edward, 7 ans.

Il m’amène au centre de l’île. Une large bande de sable, vierge de tout cocotier, mène à l’église de ce qui semble être un village. De part et d’autre, quelques maisons faite de tôles ondulées et de planches et pour les plus belles, parfois d’un mur de ciment. Chose étonnante, depuis la mer, rien ne transparaît et tout a l’air sauvage.

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Le père d’Edward, Robert que tout le monde appelle Bob m’accueille d’un large sourire. A la fois rassuré de trouver du monde sur cette île perdue, je n’apprécie cependant guère ce sourire. Comment vais-je faire avec mon voilier, coincé à quelques dizaine de mètres de là, le flanc offert à la houle du large ? Il m’indique m’avoir quasiment vu m’échouer, la veille au soir. « We will fix your boat, don’t worry Sir ! ». Je n’ai pas le choix que de lui faire confiance.

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Je vous épargne les détails techniques pour réussir à sortir mon embarcation de la barrière de corail, la tracter par-dessus le récif à marée haute et la mettre sur cales après l’avoir démâtée. Il y aura du boulot. Quatre mois de boulot. Mais le plus surprenant pour moi sera d’apprendre à connaître ceux qui vivent ici.

Car cette île n’a pas toujours été habitée. Cela fait à peine plus d’un siècle qu’elle l’est. Qui aurait voulu de toute façon habiter cet îlot isolé à plus de 3 jours de navigation de la première véritable terre. Qui plus est, cet atoll ne présente pas de véritable passe et c’est à travers de dangereux chenaux zigzagants dans la barrière de corail, d’à peine quelques mètres de large, qu’il faut accéder au lagon. Pendant longtemps, avant que les premiers moteurs n’arrivent, seuls les meilleurs piroguiers pouvaient aller rejoindre l’océan. Le peu de voiliers qui passaient là, déjà bien étonnés d’y voir une terre, évitaient de trop se rapprocher par peur d’un récif immergé.

Les origines des habitants de Palmerston, c’est Bob qui me la révéla. C’était un soir, après une longue journée de travail à poncer la coque de mon voilier. L’histoire veut qu’un riche anglais, un lord me dit-il, après avoir quitté Plymouth sur son ketch de 50 mètres avait fait une longue escale en Polynésie. Il avait atterri là après des mois en mer, manquant de perdre et la vie et son beau bateau dans les 40ème rugissant et les 50ème hurlant de Patagonie. Mais, il l’avait fait. Il avait croisé le Cap Horn par une après-midi de janvier 1843 et avait rejoint d’une traite la belle île de Moorea. Il avait usé plusieurs équipages de son intransigeance et de son autoritarisme mais l’homme n’était pas de ceux qui s’attendrissent. Il avait quasiment tout perdu dans des affaires mal gérées en Angleterre et avait voulu tenter sa chance au-delà du nouveau monde, dans le Pacifique, loin de sa pluvieuse et ingrate patrie. Il était déjà suffisamment âgé du haut de ses 44 années, quelques cheveux blancs attestant du temps passé. Une fois vendues le peu de terre qui lui restait, il avait fait l’acquisition de son solide croiseur à voile.

Les français ne lui réservèrent pas un chaleureux accueil à vrai dire. Les quelques mois passés en Polynésie lui permirent de vendre son trop grand voilier pour un bateau plus adapté à la navigation sous les tropiques. Son dernier équipage ayant préféré prendre congé, il aura du mal à en former un nouveau. Son projet, toujours plus à l’Ouest ! Par contre, dans une alliance improbable face aux colonisateurs français, il avait été bien aidé par les natifs, les polynésiens eux-mêmes. Quand après près de deux ans passés parmi eux, il prévoit de reprendre la mer, c’est avec trois jeunes et jolies vahinés, ses trois épouses et quelques aventuriers alcooliques qu’il lève l’ancre. Le lord anglais avait sans doute laissé en terre de feu, les principes de sa stricte éducation anglicane…

Trois femmes, deux trois matelots, quelques têtes de bétail et pas un chien embarquèrent alors pour l’Ouest. Pas un chien, ainsi en avait décidé le lord et personne ne reviendrait dessus.

Quand il croise ce petit atoll, après quelques semaines d’errance, il décide qu’il ferait de cette île qui n’a pas encore de nom, son empire. A cette époque, le premier qui met le pied sur une terre inhabitée n’a pas grand mal à s’en octroyer la pleine propriété. Il décide qu’elle s’appellera Palmerston et que ses trois femmes vivront ici avec lui sous son entière et unique autorité. Il divise alors le plus grand des ilots de la barrière de corail en trois et donne à chacune de ses femmes l’administration de chaque tiers. Le reste de son équipage ne restera que peu de temps dans ce coin isolé de tout et de tous.

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Cela a si bien fonctionné, qu’un siècle plus tard, Edward, du haut de ses 7 ans, fait partie de la cinquième génération qui descend du Lord et de ses 3 femmes. Certains des enfants issus de l’île ont quitté Palmerston mais à ce jour les 27 habitants sont tous cousins, cousines, issu de la même famille initiale. Toutes les ressources sont partagées en trois et en fonction des besoins de chaque foyer. Tous les dimanches, la messe est célébrée dans la petite église et il est alors interdit d’avoir la moindre activité ce jour-là. Pas de pèche, pas de ramassage de coco, rien qui ne puisse déplaire à Dieu. Et chacun respecte les règles établies par le lord. Le reste de la semaine, quand la mer le permet, les hommes vont à la pêche, les femmes s’occupent du bétail et des petits potagers. Les enfants sont instruits par l’unique instituteur.

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Aussi, quand mon bateau s’est échoué, c’est un peu d’animation, de nouveauté qui s’imposait à Palmerston. L’île incestueuse m’avait accueilli et aidé et pour ça je leur en suis terriblement reconnaissant.

Alors que je voyais les 27 habitants me saluer depuis la plage de Palmerston, je ne pouvais m’empêcher de penser que seul le Pacifique recélait de ces îles improbables…

Voilà, j’ai pensé que ce petit conte vous donnerait un peu de l’étrange impression que nous avons ressentie en côtoyant les habitants de Palmerston, véritablement les descendants d’un anglais et de ses trois femmes de Tahiti.

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Publié dans Pacifique

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E
je ne demanderai pas si tu as pu participer au renouvellement chromosomique de cette population. Ce serait un peu irrévérencieux pour elle qui a su braver le temps et se maintenir sur cette belle<br /> petite île.<br /> En tout cas cela a du être une expérience et une rencontre extraordinaire<br /> Bon vent et à bientôt le plaisir toujours renouvelé de vous lire toi et Laurène<br /> Bises<br /> Elgé
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