Niue, petite nation pacifique

Publié le par filou-from-mars

 

Si Palmerston est parfaitement isolée, sans moyen de la rejoindre ni par avion ni par bateau autre que les quelques voiliers et parfois un ou deux cargos par an, l’île de Niue – à prononcer Nioué - est en un sens à l’opposé. En un sens seulement. Comme elle, c’est un petit confetti perdu sur la carte du Pacifique Sud. Un petit point qu’on peine à voir, quelque part entre la Polynésie et les Tongas. Mais pas vraiment de quoi en faire un conte pour enfants.

Cette île nous a laissés une impression très particulière. Comme une île sans âme, un peu froide.

C’est une véritable île haute, sans barrière de corail ni lagon. En l’abordant par l’Est, cette île nous a tout de suite étonnés par sa géométrie atypique. Du large, elle est difficile à distinguer tant elle est plate. Plus on s’approche, plus on aperçoit cette ombre au-dessus de l’horizon, telle une immense vague. Il faut être véritablement à quelques miles pour enfin distinguer les falaises d’à peine 30 à 40 mètres de haut. La côte apparaît alors déchiquetée où s’ouvrent de belles grottes creusées par les vagues, le tout coiffé par une forêt dense et homogène. La côte au vent est à son habitude quasiment déserte et sauvage, les populations préférant s’installer du côté protégé de l’île.

Niue large

 

Récif NIUE

 

Falaises Niue

 

Comme souvent c’est le nez en l’air que nous approchons des côtes, contents de retrouver des odeurs terrestres après quelques jours en mer. L’air salin anesthésie un peu l’odorat ou tout au moins celui-ci n’est plus vraiment habituer à la même palette. C’est donc un vrai plaisir que de sentir de nouveau des odeurs de végétation, de fleurs ou de feu de bois. Comme des amateurs de vin, nous pouvons nous rappeler de nos arrivées en fonction de la première odeur retrouvée. L’odeur de Tiaré, fleur servant au monoï nous a ainsi accompagnés le long des côtes de Huahiné. Pour Niue, je me souviens d’une odeur de fougère puis de feu de bois. Notre beaujolais nouveau à nous…

Les grandes profondeurs et les falaises qui entourent l’île ne laissent qu’une seule baie comme possible zone d’accostage. Très vite, à quelques mètres du rivage, plusieurs dizaines de mètres au profondimètre rendent impossible l’idée même de mouiller. Pour pouvoir accrocher notre ancre, il faudrait se rapprocher trop près de la côte au risque de s’échouer à la moindre bascule de vent. Nous n’avons de ce fait pas d’autre choix que d’utiliser un des corps morts mis à la disposition des voiliers par les locaux. Arrivés à la tombée de la nuit, après 3 jours de navigation difficile, nous repérons les fameuses bouées. Nous ne tardons pas à nous coucher tant la fatigue accumulée était intense.

Côte Niue

En effet, nous avons dû affronter une petite dépression sur le trajet entre Palmerston et Niue si bien que le vent a été très instable contraignant à une veille plus qu’attentive, souvent sous la pluie, avec des accélérations de vent parfois très importantes. Affaler les voiles en urgence en ayant réveillé l’autre qui dormait tant bien que mal, lancer le moteur directement depuis le démarreur alors qu’un faux contact complique les choses…tant de petites choses qui viennent émailler la navigation en équipage réduit où c’est forcément le sommeil qui trinque.

De plus, nous avons légèrement allongé la distance en faisant un détour. Nous avions espéré pouvoir faire une escale sur le récif de Beeveridge mais les conditions de vent nous ont contraints à abandonner le projet. Ce récif corallien a la particularité de n’être émergé qu’à marée basse. Le reste du temps, rien ne dépasse de la surface de l’eau. Une fois la passe identifiée, il est possible, par temps calme, de jeter l’ancre à l’intérieur de cet atoll. Il faut imaginer cette sensation folle d’être à l’ancre au beau milieu de l’océan pacifique. Bien évidemment la vie sous-marine y est réputée luxuriante étant donné que presque personne ne s’y aventure. De nombreux navires y ont même sombré, ne voyant pas ce haut fond. D’autant qu’en cas de forte mer, les vagues sont alors colossales rendant encore plus dangereux la zone. Ce sera pour une prochaine fois.

Il y avait donc une part de frustration en plus de la fatigue sur cette navigation. Pour faciliter encore la donne, je suis tombé un peu malade sur la fin de la traversée. Rien de bien méchant mais suffisamment pour que je n’arrive plus à cicatriser les classiques plaies aux mains que tout bon citadin ne manque pas de se faire sur un bateau. C’est donc par les bons soins de Laurène, plein de bandages, sous paracétamol que je suis content d’enfin arrivé.

Même si elle n’a duré que trois jours, elle restera une des navigations les plus difficiles pour nous deux.

Le lendemain matin, une fois encore, nous nous astreignons à la contraignante étape des formalités administratives. Cela nous permet de nous rendre compte que Niue est une véritable nation. Avec ses administrations, ses ministères, son drapeau, ses douanes, son immigration, son service de bio-sécurité…enfin tout quoi. Seule la monnaie les raccorde, comme les îles Cook, à la Nouvelle Zélande. A Niue, il y a un aéroport international avec des vols quotidiens, de belles routes goudronnées, des écoles, un lycée, des hôtels, des resorts – dire « rizorte » - quelques restaurants, un yacht club, un vrai supermarché, un magasin duty free d’alcool…tout je vous dis. Une véritable nation pour quelques villages et pas plus de 1300 habitants ! La plupart des personnes originaires de Niue vivent en effet hors du territoire et ce dans des proportions impressionnantes. Le chiffre de 1 pour 20 est évoqué. Ces expatriés vivent alors en Australie, en Nouvelle Zélande, aux îles Fijis ou Tongas mais peu à Niue finalement. Aussi pour faire « tourner » cette nation, sa télévision, ses administrations, il faut aller chercher les compétences où elles sont. Et si elles ne sont pas disponibles au sein des nationaux, ils font comme tout le monde, ils les font venir de l’étranger.

Ainsi nous avons fait la connaissance de la communauté philippine. Nous pouvons dire la communauté car ils sont au nombre de 23, je crois et que nous avons rencontré une bonne partie d’entre eux. Responsable du réseau informatique, infirmière ou manager du supermarché, ils occupent plutôt des fonctions de responsabilité. Notre premier contact a été le jeune Emerson et sa compagne Felma. Emerson est le technicien officiel de la télévision de Niue. En matière de programmation, il s’agit essentiellement de faire tourner des magnétos avec de vieilles émissions de la BBC, les infos du jour de la télévision de Nouvelle Zélande et les quelques vidéos amateurs des évènements de l’île. Mais Emerson est seul. Seul compétent en tous cas donc dès qu’il y a le moindre bug, c’est lui qui s’y colle. Corvéable à merci !

Pour les faire venir, étant donné la situation politique de leur pays d’origine, rien de très difficile. Par contre, pour les faire rester, c’est un peu plus pervers. L’administration Niueienne leur fait miroiter un possible passeport Néo-zélandais…à terme. Terme qui n’est défini nulle part, dont l’échéance fluctue en fonction des décideurs et de leur besoin…Or le passeport Néo-zélandais est un sésame pour le reste du monde. Finies les contraintes de visas impossibles à obtenir, tout devient enfin envisageable. Emerson est là depuis 6 ans et n’a pas le droit de quitter l’île trop longtemps au risque de perdre son tour dans la longue liste d’attente pour l’obtention du fameux sésame. Une forme d’expatriation forcée.

J’ai passé beaucoup de temps avec Emerson. Du haut de ses 24 ans, il a développé une compétence rare dans tout ce qui attrait à l’électricité et à l’électronique. Un peu fatigué sans doute de n’avoir à réparer que téléviseurs ou micro-ondes, les nouveaux casse-têtes que je lui propose, semblent décupler sa motivation. Aussi, je lui soumets tous les petits tracas électriques à bord de Filou. Cela va du système de démarrage récemment défaillant à un petit bruit gênant sur le pilote automatique, à la charge des batteries en passant par la réparation d’une enceinte audio…tout passe entre ses mains. Et rien ne résiste à l’intuition d’Emerson. Cela tient du miracle de trouver quelqu’un d’aussi compétent dans un endroit aussi reculé. Armé d’un simple voltmètre, il semble capable de parler avec tout ce qui, de près ou de loin s’anime avec de l’électricité. Entre deux réparations, forcément nous sympathisons. Il me raconte comment il a quitté les Philippines, la situation difficile de son pays, du reste de sa famille resté sur place. Son rêve de pouvoir construire une maison pour sa mère là-bas. Nous nous promettons l’un l’autre qu’un jour, il me ferait découvrir son pays. Il est assez étrange comment en si peu de temps, des relations aussi intenses peuvent se nouer. Il y a un caractère presqu’utopique à imaginer pouvoir se revoir pourtant. Je dois avoir une addiction à l’utopie car je m’imagine bien un jour découvrir les Philippines avec Emerson.

Felma Emerson

 

Emerson Niue

Autre aspect très particulier, Niue est dominée par une forte imprégnation religieuse. Bien évidemment, ce n’est pas leur culture d’origine mais une des variantes protestantes imposées par les colonisateurs anglo-saxons. Avec un parti pris évident, cela revêt l’aspect d’un lavage de cerveau en bonne et due forme. A titre d’exemple, le dimanche, il est interdit de faire du bruit, d’avoir des loisirs « visibles » tels qu’aller à la pèche, faire du sport et il est bien sûr fortement recommandé d’assister à l’office. Une vie bien rangée, respectueuse et tout ira bien. Ce côté coercitif et plein de contrainte semble tellement éloigné de la simplicité de vivre d’autres îles du Pacifique Sud qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a quelque chose de détruit irrémédiablement dans ce genre d’endroit.

Je crois que le paroxysme a été atteint quand je suis tombé sur une vidéo d’une des fêtes annuelles. En effet, on y voit les jeunes hommes locaux, en habits traditionnels, c’est-à-dire, coiffe de fougères et de fleurs, pagne en feuilles de palmier, collier de coquillages et de dents de requins au cou, peinture guerrière sur le visage et le torse – enfin le parfait attirail du bon sauvage quoi. Là où les choses dérapent, c’est quand ils proposent une chorégraphie mêlant danse traditionnelle et hip-hop sur une fond sonore électronique de « dance » ronflante. Ace of Base version maori…pathétique. Dans la même veine, il n’y a aucun endroit pour manger « local » à Niue. Les restaurants existants proposent hamburgers, indien, pizzas, sushis, expressos et muffins. Un best of de la world culture. Il ne faudrait pas que les gentils touristes qui atterrissent ici ne soient trop dépaysés tout de même.

Heureusement, il y a des aspects intacts à Niue. Tous ne le perçoivent pas et pour cause. Aussi, les trois quatre voiliers présents dans la baie sont souvent ici pour une simple escale entre la Polynésie et les Tongas et repartent dès le lendemain. Juste de quoi se reposer quelques heures avant de reprendre la mer. Pour notre part, nous y avons passé dix jours. Entre autre, pour réparer un peu notre bateau, avec l’aide d’Emerson mais surtout pour voir les baleines et profiter de la Nature. De ce point de vue, tout n’a pas encore été trop édulcoré.

C’est donc maintenant que je dois vous décrire notre rencontre avec les baleines…difficile exercice tant entre toutes les belles choses vues, croisées et approchées depuis que nous voyageons sur Filou, les baleines gardent une place à part.

Nous les avions déjà croisées à Rarotonga et Palmerston mais définitivement c’est à Niue que nous avons pu véritablement passer du temps et être aussi proches. Elles sont arrivées quelques jours après nous et elles aussi préfèrent, pour se reposer, les baies calmes et peu profondes que la houle du grand large. Aussi, elles sont là, autour de nous au mouillage, parfois à seulement quelques mètres reprenant leur respiration en surface ou passant sous le bateau. Ce sont des baleines à bosse. Pouvant atteindre plus de 20 mètres, cela en fait les mammifères marins parmi les plus imposants. A tel point que c’est difficilement représentable. Il nous faut avoir une mesure étalon pour pouvoir réaliser. C’est uniquement quand nous les approchons en canoë que nous réalisons. Notre frêle embarcation n’a pas la longueur d’une de leur nageoire pelvienne. C’est tout simplement d’énormes bêtes. Je me souviens du squelette suspendu au plafond dans la galerie de l’évolution au Museum d’histoire naturelle au jardin des plantes. Là, ce n’est plus un tas d’os, ça bouge, ça respire, c’est bien réel.

Elles passent le plus clair de leur temps sous l’eau. Aussi, il faut épier leur souffle pour les repérer. N’ayant pas moyen ni l’envie de les traquer à grande vitesse, nous comptons sur la chance. A force de persévération, nous avons eu réussi à nager avec elles. Les voir dans leur élément rajoute encore quelque chose. Les voir aussi à l’aise, déplaçant leur immense masse avec autant de facilité, lâcher un nuage de bulles pour faire diversion ou jouer les unes avec les autres – une forme de graal pour les apprentis aventuriers que nous sommes.

Baleines Niue

Nous avons pu en compter plus de 7 ou 8 en même temps dans la baie. Sous l’eau, ces énormes masses, paisibles, ondulent tranquillement. Elles n’ont pas vraiment de prédateurs vue leur taille et restent de longues minutes quasi immobiles. Difficiles à observer sous l’eau car elles gardent leur distance ou s’enfoncent trop profondément pour être vues de la surface, nous avons passé de longues heures à nager ou à pagayer dans notre canoë pour les voir quelques brefs instants. Je rêve encore souvent de ces instants suspendus et entend dans mes songes leur chant si puissant et inimitable. Il y a quelque chose d’addictif à les côtoyer. Drogue si douce.

Baleines-Niue-hors-eau.JPG

L’autre belle surprise de Niue reste ses fonds et sa côte creusée de grottes. L’absence de courts d’eau fait que rien ne vient troubler les eaux claires de la haute mer. L’eau y est cristalline. Plus de 35 mètres de visibilité. De quoi donner le vertige quand on met son masque sous l’eau. Les nombreuses grottes le long de la côte sont autant de labyrinthes sous-marins à découvrir. Les jeux de lumières y sont incroyables, parfois féériques parfois particulièrement inquiétant. Certes les eaux ne sont pas aussi poissonneuses que dans les Tuamotus mais il y a quelque chose de magique à évoluer dans une eau aussi claire. Ainsi, quand les baleines nous boudaient, nous avions largement de quoi nous occuper sous l’eau, à jouer aux apprentis spéléologues d’eau salée.

Canyon niue

 

Grotte contre jour (2)

 

Grotte contre jour (3)

 

Intérieur Grotte

 

Intérieur grotte2

Au final, malgré cette impression mitigée sur Niue quant à son caractère lisse et franchement dénaturée, nous avons passé un très bon moment sur ce petit bout de terre. Quand malgré tout, nous nous décidons à lever l’ancre, ce n’est pas sans difficulté. Nous avons du mal à quitter Felma et Emerson, très belles rencontres de cette étape. Eux aussi je crois nous regrettent un peu.

Pour ce qui est des baleines, je ne suis pas sûr qu’on puisse les observer une autre fois aussi bien qu’à Niue…de quoi redorer le blason de cette petite nation finalement.

grotte sous l'eau

 

Grotte ss l'eau

Prochaine destination, l’archipel des Fiji puisque nous décidons de ne pas faire escale aux Tongas, faute de temps. Nous aussi avons des contraintes finalement…

JM grotte 

Laurène cave

 

Publié dans Pacifique

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E
Enfin des nouvelles , je commençais à m'inquiéter!!!<br /> J'espère que vous avez filmé vos rencontres cétaciennes (je n'en doute pas). Comme tout bon voileux qui se respecte vous avez su vous débrouiller pour affronter sereinement les petites galères du<br /> quotidien. Celles-ci rendent d'autant plus concret votre périple et les souvenirs qui s'y rattachent.<br /> Continuez bien vers les Fidji et continuez à envoyer des nouvelles.<br /> Bon vent<br /> Bises à tous les deux<br /> Elgé
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