Ambiance Pacifique

Publié le par filou-from-mars

Mardi 19 février – 05h25 heure locale Ciel légèrement couvert – pression 1008 Hpa- Vent de secteur Est Sud Est – Force 2 à 3 mollissant au cœur de la nuit – Mer peu agitée

 

La manœuvre vient tout juste de se terminer. Dorothée va poursuivre son quart seule. Elle est sur le pont de 5 heures jusqu’à 7 heures du matin. Un quart qu'elle avait demandé, pour avoir le levé de soleil. Pour une fois. Elle verra donc le soleil se lever. Au moins au début, les premiers jours avant que nous traversions les premiers fuseaux horaires. Quatre semaines sur l'océan Pacifique. Au départ des Galapagos, devant une mer toute plate, sans une vague, nous nous étions dit que les quarts calmes pourraient se faire seul. Des quarts « lac » avait on dit. Cela fait maintenant plusieurs mois que chacun est sur Filou, il n'y a pas de raison. Marine, dernière arrivée sur le bateau sera doublée par Thomas, son marin de prince. Mister Brodatch n'est plus des nôtres depuis les Galapagos. D'autres voiles à fouetter en d'autres mers. Nous sommes partis de Panama fin janvier avec 50 jours de vivre. Nous sommes partis pour près de 7000 kms. Seule escale possible, les Galapagos puis 5500 kms d'eau. La manœuvre vient tout juste de se terminer. Le génois était coincé, Dorothée m'a demandé de l'aider. C'est chose faite. Quelques mots encore pour être sûr qu'elle est sereine pour la suite et je m’apprête à rejoindre ma cabine pour finir ma nuit. Soudain, rompant le calme de la nuit, un souffle puissant retentit sur bâbord. L'animal est juste à coté, c'est une évidence. Tout en nous agrippant à ce que nous pouvons, nous allumons simultanément nos lampes frontales et éclairons l'eau noire. Rien. Il n'y a pourtant aucun doute, une baleine est montée à quelques mètres du bateau pour reprendre sa respiration. Je me souviens aussitôt des recommandations du guide des Grandes Croisières, stipulant clairement que des groupes de baleines migraient dans le Pacifique et que des attaques d'embarcations avaient été signalées...Nous sommes déjà loin des côtes, quelques centaines de miles. Nous pouvons difficilement nous permettre une grosse avarie... Ce ne sera qu'un avertissement. Chacun d'entre nous avons eu ces anecdotes de quart. Des animaux mystérieux venus des abysses venant renifler la coque du bateau avec un halo luminescent de deux fois la largeur du bateau comme seule trace laissée derrière eux. Des lumières étranges à l'horizon, s'allumant et s'éteignant sans rythme défini alors qu'il n'y a pas de terres émergées à 2000 km à la ronde. Un OFNI, objet flottant non identifié en somme. Le Pacifique, habitants de l'Atlantique que nous sommes tous à bord, nous faisait rêver. Quand en Octobre, devant un bon repas sur les hauteurs de Bahia, le sort de Filou avait été scellé décidant qu'il ne reverrait pas les côtes de métropole de si tôt, pas avec nous du moins, nous nous étions imaginés un parcours utopique jusqu'en Polynésie. Il fallait un nouveau but à notre projet. Nous venions de traverser l'Atlantique, un objectif à lui tout seul, nous avions besoin de plus grand. Ce sera donc le Pacifique. Mi janvier, le canal de Panama nous avait ouvert ses portes. Cela parait déjà bien loin. Quelque part, avec toutes les belles choses déjà croisées, je craignais sans le dire, une forme de déception. "Ah, le Pacifique c'est ça. Mouais, c'est pas très différent finalement, c'est un peu comme..." et le processus de comparaison est en route. Pourtant, dès le début, le tranquille océan affichait sereinement ses différences. Je me rappelle des premières minutes le masque sous l'eau. C'était juste après avoir quitté Panama City. Nous sommes mouillés aux abords d'une toute petite île du nord de l'archipel des Perlas, Isla Pacheca. Même si nous en avions déjà croisés aux San Blas, les requins du Pacifique sont réputés plus nombreux, plus gros. Tout le monde a clairement ça en tête quand nous quittons Filou, palmes aux pieds. L'eau n'est pas de la plus grande clarté. Le verdict ne se fait pas attendre. Nous sommes tous unanimes. Les poissons sont plus gros, plus nombreux. Il y a ici une vie que nous n'avions pas encore croisée. Le poisson que je flèche cet après midi là en atteste. Une Liche m'a t-on dit...va pour la Liche. Que les puristes m'excusent. Les Perlas nous ont réservé leur lot de belles surprises, de paysages inoubliables vous le savez déjà. La suite n'en a pas démérité pour autant. Après les Perlas, nous irons directement vers les Galapagos. Le parcours a été décidé ainsi, l'étape à Isla Coco plus au Nord faisant un trop gros détour. Difficile de faire une croix sur cette île. Un mythe parmi d'autres. C'est là que fût tourné le film Jurassic Park pour ceux qui se rappellent...Tant pis. Les trois ou quatre premiers jours de navigation seront très calme. Beaucoup de moteur. La sortie du golf de Panama est ainsi, surtout en cette saison. Nous verrons à nouveau un requin baleine. Certainement plus grand encore que son cousin des Perlas. Plus méfiant par contre, nous ne pourrons plonger avec lui. Deux rorquals sortiront aussi près du bateau. Toujours aussi impressionnants ces grosses bêtes. Comme d'habitude, nous avons pêcher. Dorades coryphènes et thons rouges cette fois. Nous aurions pu tester le marlin mais étant donné sa taille, près de 3 m et la vitesse avec laquelle il dépassa le bateau en emportant avec lui notre leurre, nous avons vite compris que nous n'étions pas équipé pour ce genre de bestiau. A 350 miles des côtes, une autre île perdue est sur les cartes: Isla Malpelo. C'est un rocher appartenant à la Colombie. Un rocher abrupte, sans aucune végétation. Pas une seule petite baie véritablement abritée. Que des falaises. Le sommet de l'île culmine à plus de 150 m. Elle fait quelques centaines de mètres de long tout au plus. Géologiquement, isla Coco, Malpelo et les Galapagos font partis du même arc volcanique disséminé dans l'Est du Pacifique à quelques centaines de km les unes des autres.

 

tof-1.jpg

tof-2.jpg

Voilà donc ce rocher qui se dessine à l'horizon, un matin. Le contact radio est fait et nous avons l'autorisation de rester pour la journée. Il est interdit de jeter l'ancre dans cette réserve naturelle. Il y a deux ou trois bouées autour de l'île nous indique le garde côte. En faisant le tour, dans une mer assez agitée, un banc de dauphins particulièrement gros nous accoste.

 

tof-3.jpgtof-4.jpg

tof-5.jpg

Comme dans toute réserve naturelle marine, les oiseaux pullulent. Ils nous tournent autour. Nous sommes les intrus. Peu de bateaux viennent ici. Tout au plus, quelques expéditions scientifiques, quelques reportages animaliers et de riches plongeurs. C'est de toute façon trop inhospitalier pour un quelconque développement touristique...et tant mieux. L'inhospitalière, traduction littérale de Malpelo d'ailleurs.

 

tof-6.jpgtof 7

De l'autre côté de l'île, il y a justement un bateau de plongeurs. Des américains vu leur accent. Nous tentons de voir s'il serait possible de faire une plongée avec eux...le ticket d'entrée de ce genre de petite expédition doit être bien trop élevé pour laisser de petits frenchys en profiter comme ça...c'est un non mal justifié qu'on nous oppose. On apprendra plus tard qu'ils font chacun 5 plongées par jour pendant une semaine...Pas grave, nous ferons sans eux. Nous trouvons donc une bouée sur un autre versant et commençons prudemment par nous jeter à l'eau à l'arrière du bateau. Nous sommes à deux cents mètres de l'île, en pleine eau. Le profondimètre indique plus de 60 mètres. Un fort courant nous oblige à nous tenir fermement à une corde jetée derrière Filou. Cela ne se fait pas attendre. Des bancs immenses de poissons sont sous nos palmes. Des genres de thons dira Sylvain, des bêtes de plus d'un mètre chacune. Avant de me mettre à l'eau, j'aperçois un bon gros barracuda de près d'1m50 juste à côté du bateau. Cela promet. Quelques minutes plus tard, un autre banc d'une centaine de balistes cette fois. Nous n'avons pas encore quitté le pourtour du voilier. Voilà une bonne demie heure que nous nageons maintenant autour du bateau. Il y a moins de poissons comme si nous étions repérés et qu'ils gardaient leur distance. "Un requin, un requin, c'est un requin marteau" crie Dorothée, le tuba encore aux lèvres. Elle a aperçu le nouveau venu juste derrière Marine et Thomas en pleine chorégraphie apnéique au bout de leur corde. Ils n'ont rien remarqué et il faut insister pour qu'ils se retournent et réalisent qu'ils ont un spectateur attentif à leurs prouesses. Bizarrement, je replonge à l'eau. Je ne veux pas louper ça. La bête est seule. Pour l'instant. Son étrange museau signe sans équivoque son espèce. Il doit faire un peu moins de 2m50. Il est à une dizaine de mètres tout au plus. Puis, curieux, il se rapproche lentement avant de vite repartir d'un coup de queue un peu plus loin. Et revient à nouveau. Les cercles se rapprochent. Je scrute les alentours pour voir s'il n'y en a pas d'autres tout en gardant notre ami à l'oeil.

 

tof 7bis

Nous sommes six à l'eau. Il n'y a qu'une seule échelle. Tout le monde est un peu tétanisé. Entre fascination et frayeur. Quand, dans l'une de ses boucles, il entre dans ce qu'intuitivement, on appellerait le périmètre de sécurité, soit moins de 3 mètres, je propose vigoureusement le repli. Alors que d'habitude, je suis plutôt celui qui motive les uns et les autres à se mettre à l'eau, je pressens qu'il vaut mieux jouer la carte de la prudence. Je n'ai pas besoin de le répéter deux fois. Tout le monde se précipite vers la jupe du bateau. Ce qui était prévisible arriva. Un embouteillage instantané. Les palmes encore aux pieds, loupant les marches de précipitation, nous mettrons quelques longues minutes à sortir. Les dents de la mer ne se sont pas refermées sur l'un d'entre nous. Encore raté ! Paradoxalement enthousiasmés par cet événement, nous en voulons plus. Le canoë est mis à l'eau aussitôt. Deux équipes iront plonger à l'a-pic des falaises. C'est vraiment difficile à retranscrire. Laurène, Sylvain et moi sommes du premier voyage. L'eau est d'une limpidité étonnante.

 

tof-8.jpgtof-9.jpg

Sous nous, dix-quinze mètres tout au plus. Au fond, ce sont des amas de rochers. La houle est forte et s'engouffre sous une arche d'une quarantaine de mètres de haut rappelant étrangement Etretat.

 

tof-11.jpgtof 10tof 12

De belles rafales balaient la surface de l'eau. Sylvain aurait pu dire ô combien c'est inquiétant mais pour le coup, tout le monde est convaincu. C'est même Laurène qui se jette la première à l'eau. Nous sommes seuls avec notre petit canoë gonflable. Il y a des poissons partout. Je ne sais pas exactement combien de temps nous sommes restés. Une heure peut être. Nous avons revu plusieurs requins, des marteaux encore. Nous avons chacun une sensation de vivre quelque chose de quasiment interdit. Nous sommes en train de plonger en apnée sur un caillou isolé au milieu du Pacifique, caillou gardé par des requins marteaux...

 

 

tof-13.jpg

tof-15.jpgtof 14

En tout et pour tout, Filou n'aura fait une escale que de quelques heures à Malpelo. Une dizaine d'heures incroyables. Une émotion si forte que c'est exténué que nous reprenons notre route en fin d'après midi. Les requins de Malpelo animeront nos quarts cette nuit là. La manoeuvre est terminée. La baleine a repris sa respiration. Filou poursuit sa lente course sur le plus grand des océans. Il nous reste à vous raconter les Galapagos...

Publié dans Pacifique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
A Malpelo je crois qu'il n'y a pas que les requins de marteau.<br /> Quelles sensations excitantes cela doit être de frôler ces petites bêtes !!!!!<br /> Bon vent en attendant les Galapagos
Répondre