3000 miles sans escale, 26 jours, 11h et quelques minutes

Publié le par filou-from-mars


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Nous sommes six. Trois couples pour trois cabines. On se prépare depuis déjà quelques semaines à pouvoir réaliser une des plus grandes croisières du globe. La plus longue sans terre, sans ilot, sans escale. Seulement 150 voiliers par an osent s'y aventurer. Le déroutage de cargos est une des seules possibilités de secours en cas d'avaries. Nous sommes pourtant confiants. Filou a déjà fait ses preuves plus d'une fois.

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Nous avons pris certaines habitudes de préparation de grande traversée. Nous avons un peu plus d’expérience désormais. Cette fois nous optons pour 40 jours d'autonomie, dans le cas où les vents seraient trop capricieux.

Tout est compté. Litres d'eau, litres de lait, litres d'huile, litres de gazole, kilos de riz, kilos de pates, kilos de patates... le grand plein est fait à panama city. Seule véritable ville à partir du canal.

 

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Il a fallu aussi préparer notre cher bateau... carénage (grattage de coque) aux galapagos pour qu'on ne soit pas trop ralenti pour la traversée, un bon nettoyage, un excellent rangement. La place est optimisée. Un vrai jeu de Tetris grandeur nature !

Le 14 février nous quittons santa isabella. Notre dernière escale des galapagos. La météo n'annonce pas beaucoup de vent pour le début. Nous allons utiliser le moteur les deux premiers jours. Le gazole fait partie des éléments à économiser pour ce genre de distance... 3000 miles... 5400 km. Nous misons entre 20 et 35 jours de traversée. Difficile d'être plus précis au début.

C'est dur de partir. Notre objectif, les Iles Marquises, est une de nos dernières étapes avant le retour en France. La fin du voyage approche et cela ne sera pas aussi simple que je l'avais imaginé.

 

L'eau est calme. Un lac géant sans horizon.

Des dizaines de tortues se dorent la carapace à la surface. Elles dorment profondément. Tellement tranquilles qu'elles ont le temps de sécher. Nous les évitons les unes après les autres. Dans cet univers paisible, un grand aileron interpelle notre regard. Nous nous dirigeons vers lui. 6 mètres à peu près. Celui-ci ce n'est pas un requin baleine. Personne ne tente la mise à l'eau. Pendant quelques courtes heures nous avons croisé le sillage de différents requins. Des marteaux, des galapagos et que sais je. Nous avons eu la chance de croiser encore un requin baleine de 7-8 mètres.

 

Le dernier point de terre, un tout petit îlot où quelques otaries se reposent en compagnie de fous à pieds bleus. Une belle façon de dire au revoir aux Galapagos.

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La nuit tombe.

Les rayons du coucher de soleil se reflètent comme dans un miroir. Pas un souffle de vent. Pas une ride sur l'eau.

 

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Les quarts solo vont débuter. Pas de raison d'être deux quand les conditions sont aussi calmes. La majorité des voyageurs rencontrés avouent même qu'ils dorment en traversée.

 

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Si le vent souffle nous repasserons en binôme.

Cœur de nuit pour Sylvain et moi. Nuit noire puis lever de lune.

Le plancton s'éclaire lorsque l'eau est en mouvement. Il dessine des formes plus ou moins familières autour du bateau. Une nuit, quelque chose de 4 mètres s'approche de Filou par curiosité... Sylvain me dit : « t'es attachée ? ». Je retiens ma respiration. Une fois la bête proche de Filou, elle fait demi tour comme si elle avait été surprise. Je pousse mes petits cris habituels, à la fois amusée et effrayée.

Souvent des taches d'un mètre d'envergure sortent à l'arrière, dans le sillage du bateau. Des grosses méduses peut être.

D'autres nuits nous entendons des animaux reprendre leur souffle en surface. À leur cadence et leur nombre nous pouvons supposer que nous avons affaire à des globicéphales, des dauphins et même parfois des baleines.

 

Le vent... quel caprice d'en vouloir toujours plus dans le pacifique. Il y en a, mais jamais assez.

La première semaine, chaque souffle de vent est optimisé.

Nous avons un courant favorable. Puis plus. Nous nous battons pour réaliser au moins 80 miles par jour (140 km). De jour comme de nuit, hissage de GV, tangonnage du génois, on se met en ciseaux ou au grand largue, un bord puis l'autre. Si cela claque de trop, il faut tout ré affaler et remettre le moteur à bas régime.

 

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Nous sommes vent arrière...

Filou n'est pas le plus fier quand le vent se présente arrière. Certains jours nous faisons 3,5 nœuds par heure. Nous pourrions marcher à la même vitesse.

Le cap, entre 245 et 260°.

 

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Il ne faut pas descendre trop au sud selon Jimmy Cornell (la référence des longues croisières). Nous essayons. Même les nuages suspects ne nous apportent pas plus de vent.

 

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Le dixième jour, l’anémomètre affiche 15-20 nœuds. Suffisamment pour faire une pointe à 150 miles deux jours consécutifs.

Il ne reste que 10 jours, normalement...

 

Le vent est reparti comme il est venu. Les voiles claquent. C'est le stress de la casse maintenant. Quelques rivets sautent... rien de grave. Nous regrettons franchement de ne pas avoir investi dans une riveteuse plus grande.

Un jour un peu calme, je suis montée au mat pour vérifier des haubans. Il n'y a pas de vent mais une belle houle. Jm m'aide à monter grâce au winch.

Première barre de flèche, ça va.

Deuxième barre de flèche... les mouvements du bateau sont plus prononcés. Je suis cramponnée au mat. Je ne le sens pas, je n'arriverai pas à monter plus haut. Je crains de lâcher et d'être ballader au bout de ma corde à 10 mètres au dessus du pont. C'est un échec. Mais bon personne ne s'aventurera après moi !

 

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Devant ce manque de vent persistant, nous nous décidons enfin à envoyer le spi. Nous ne sommes pas habitués à cette voile. La manier, l'envoyer, l'affaler, faire des montages de poulies, de bout... tout l'équipage est sur le pont à chaque manœuvre. Chacun sa position. C'est une voile très fine et légère qui capte le moindre petit air et permet d'avancer en vent arrière alors que les autres voiles ne le permettent plus.

La première journée au spi se passe sans problème. Nous restons même au pilote auto, personne à la barre. Filou est franchement « tiré » par le nez. Il fait des embardées vers l'avant. C'est doux et très puissant à la fois, impressionnant.

Au deuxième affalage, nous avons un peu trop « la confiance » comme on dit à Marseille... le vent est monté entre temps. Il doit y avoir près de 15 nœuds. Notre erreur, avoir repris de l'écoute avant d'affaler. Le bateau se couche à l'abattée alors que Sylvain et moi sommes à l'avant. A l'arrière, cela tarde à larguer. J'ai de l'eau jusqu'au mollet. Je regarde Dorothée d'un air insistant... « qu'est ce qu'on attend ? On largue ou quoi ? ». Doro me regarde sereinement et me fait un petit non du doigt. Cela devient difficile à l'étrave. Finalement, Sylvain lance dans un hurlement de désespoir: LACHEZ L'ECOUTE !! lâchez l'écoute !!! Nous tirons le spi vers nous mais il est trop gonflé. Nous nous couchons en arrière pour le récupérer alors que Thomas laisse enfin filer la drisse bloquée par la tension. C'est bien flippant de l'avant. Moins de l'arrière semble t-il où les moqueries et les « lâchez l'écoute » nous acceuillent lorsque la manoeuvre est finie.

 

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Après trois jours de ce régime, il reste encore 10 jours...

 

Nous occupons nos journées à jouer à la contrée. D'autres jours au scrabble.

Nous parlons beaucoup, nous rêvassons. Nous buvons l'apéritif. Les éternels rituels. Il faut beaucoup d'imagination à certain pour casser la routine.

Un soir, sous spi, nous avancons à bonne allure. Un premier rhum, un deuxième et Jm décide de sauter à l'eau au beau milieu d'une série de blagues. Il nous faut quelques secondes pour nous rendre compte que le bout qui trainait derrière habituellement avait été rangé. Jm s'en rend compte un peu plus vite et entame un sprint en crawl à l’arrière tout en criant « La corde, filez moi la corde !». Il a eu chaud aux fesses.

 

Pour la douche... un vrai moment de la journée... c'est soit tu sautes à l'eau derrière le bateau quand on ne va pas trop vite soit tu prends un saut et une écope. Le rinçage de cheveux peut être assez long. Mais bon on a le temps !

 

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Côté occupation, chaque couple suit sa petite série. Jm et moi, c'est Breaking Bad. Un brillant professeur de chimie, Walter White apprend qu'il a un cancer du poumon incurable et que ces jours sont comptés. Il décide de produire des amphétamines pour assurer l'avenir de sa famille. Pourquoi pas...Très bonne série pour traverser le pacifique, non ?

 

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Nous mangeons beaucoup de pates et beaucoup de thon. Trop de thon... nous n'en pouvons plus.

A chaque fois que la ligne file, nous espérons tous sincèrement que ce soit autre chose... « pourvu que ce ne soit PAS un thon ! » « raté, c'est un énorme thon. On en a pour trois jours ! ».

Et c'est avec grande surprise que nous apprécierons le thon cru lait de coco juste quelques jours plus tard, une fois aux Marquises !

 

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Plus le temps passe, plus nous ralentissons. Il reste 10 jours. Encore 10 jours.

 

Cela fait bien une semaine qu'on doit arriver dans 10 jours... les vrais « DIX » derniers jours seront vraiment sans fin.

 

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Les journées se ressemblent. Dès que nous sommes à terre nous oublions « la traversée ». Le temps écoulé est impossible à estimer. Une pause intemporelle.

 

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26 JOURS, 11h ET QUELQUES MINUTES...

 

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L'île de Nuku Hiva, Taiohae un grand village et pourtant capitale des Marquises est notre point d'arrivée... Il fait nuit, nous débarquons tels des zombies. Le soir de notre arrivée, il y a une foire agricole. Nous sommes seuls, le resto-buvette a réouvert sa cuisine pour nous. Nous goutons les brochettes de cœur de veau avec une énorme assiette de frites.

Nous expliquons à la serveuse le temps passé en mer depuis les Galapagos. Nos airs ahuris témoignent de notre total décallage. Nos questions aussi.

« Il est quelle heure ici ? Et ça fait combien en euros ? Du cœur de veau, ça se mange le cœur de veau ? »

La dame nous répond avec un grand sourire : « Vous savez où vous êtes au moins ?

 

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Publié dans Pacifique

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E
Quel bonheur de vous lire à nouveau. Depuis fin mars j'attendais impatiemment afin de connaître votre sentiment sur le Pacifique. Je constate qu'il vous a bien mordus et qu'il sera difficile de<br /> s'en éloigner.<br /> à bientôt pour la suite<br /> Bon vent<br /> Elgé
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