Escales Marocaines, entre Méditerranée et Atlantique

Publié le par filou-from-mars

DSCN0632.JPGAprès cette traversée qui finalement aura duré une bonne soixantaine d'heures, nous accostons à Saïdia, juste à la frontière, à la tombée de la nuit. Les feux qui parsèment l'entrée de la baie ne sont franchement pas réglementaires...des rouges, des blancs, des verts un peu partout...Nous slalomons et cette fois je contacte la marina pour être sûr de bien faire les choses. Une voix sympathique m'indique qu'un marin va venir à ma rencontre en jet ski pour nous guider. Nous le suivons derrière une première imposante digue qui s'ouvre sur un bassin vide, puis une deuxième et enfin apercevons quelques mâts. Ce n'est pas un piège. Nous allons pouvoir dormir au calme.

Quelques voiliers disséminés sont amarrés. Un contraste saisissant avec les marinas bondées que nous avons quittées.

Malgré l'heure tardive, du monde est là pour aider sur le ponton. « Bienvenus au Maroc ! ». Même les autorités qui ne tardent pas à venir, sont avenantes. Ils montent à bord, jettent un œil rapide dans un ou deux placards. « Rien à déclarer » demandent-ils d'un ton où la réponse semble être dans la question... « bah non, rien, messieurs, juste contents d'être arrivés... »

Apaisés, contents de cette première vraie traversée à deux sur une mer que beaucoup estime traitre, nous nous endormons sans mauvais rêve.

DSCN0635.JPGAu réveil, le sur-dimensionnement des installations est encore plus criant. Il y a des bars et des restaurants sur tout le pourtour des quais. Tous vides. En tout et pour tout, nous devons être une vingtaine de bateaux dont beaucoup sont là en stationnement. Des gens de la Rochelle apprenons nous. Le tarif annuel correspond au tarif mensuel des ports de la côte d'azur...

En gros, le roi Mohamed VI semble affectionner les environs où il vient souvent faire du jet ski. Il a impulsé le développement forcé de cette zone frontalière. Le projet a pris place sur un ancien marais il y a quatre ans. Le peu de conversations que nous entendrons sur le sujet font ressortir de sombres histoires de chantiers lancés puis arrêtés, de sociétés recevant les subventions puis quittant le territoire. Pour nous, c'est plutôt pas mal, il y a du wifi non saturé, des jus d'orange frais forts bon marché, un supermarché pour l'avitaillement et du gazole pour le plein...que demande le peuple. Une fois requinqués, nous quittons l'endroit pour un petit port de pêche à quelques miles de là. L'arrivée est beaucoup moins compliquée. Il y a une entrée toute simple et des pontons vides qui nous attendent. Je demande à tout hasard à la radio s'il y a un endroit où se mettre en particulier...pas de réponse. DSCN0648.JPGJ'interpelle un pêcheur sur le bord en tentant de bien articuler. Je suis bien étonné quand l'individu me répond du tac-au-tac avec un accent toulousain : « tu te mets où tu veux, il est pas à moi le port ! ». Dont acte.

Apéritif au coucher de soleil quand notre pêcheur blagueur arrive sur le bout du ponton et nous demande d'où l'on vient comme ça. Plutôt que de se parler à trente mètres, nous l'invitons, lui et son amie à bord pour partager une bière fraiche. Abdel est bien du Gers, originaire de ce petit coin du Maroc. Sa femme, Samira, n'a pas l'accent chantant, elle est de la région semble-t-il. Les choses se faisant naturellement, nous allons diner avec eux dans un restaurant de poissons du coin. Un énorme plateau de crevette, calamars, merlus, sardines et autres poissons choisis quelques minutes avant nous est servi. DSCN0653.JPGLe couple est étonnant. Abdel, souriant et très avenant, s’intéresse à notre projet. Il est lui-même un grand voyageur par son boulot. Il installe des terminaux d’accueil de câbles de télécommunication sous-marins pour Alcatel. Il va donc dans le monder entier, y passe quelques semaines et revient. Samira, elle, a fait ses études de pharmacie en Ukraine. C'était juste après l'effondrement de l'URSS. Elle se souvient des magasins vides. Pourquoi l'Ukraine ? Pour éviter la tutelle d'un homme de la famille qui l'aurait hébergé si elle avait choisi un pays d'Europe. Une femme indépendante en somme. Pour couronner le tout, Abdel a l'élégance et la gentillesse de nous inviter pour le repas. Merci à eux par ce message.

DSCN0658.JPGCouchés très tôt, nous n'avons aucun mal à émerger quand nous entendons que ça bouge dehors. Le petit port s'est animé à l'aurore. Les bateaux de pêche sont rentrés. Des dizaines d'hommes en salopette vident lentement les filets sur le quai. Des caissettes remplies de glace réceptionnent les poissons qui partent aussitôt en mobylettes tirant leur remorque pleine. DSCN0665.jpgLes traits sont tirés. La présence de Laurène vaut quelques sifflets et regards insistants...nous ne restons que quelques minutes pour aller prendre un café un peu plus loin. Il fait à peine jour, la ville est déserte. Nous sommes ravis de cette escale et quittons le Cap de l'eau le sourire aux lèvres.

http://youtu.be/bWfkn7U8MR4

DSCN0689.JPGLes jours suivants, nous longeons tranquillement la côte. Il fait très beau, le vent est doux et nous porte tranquillement vers l'Ouest. Nous avons le plaisir de sortir nos premiers poissons. Grande vive, oblade nous indique notre petit bréviaire des poissons locaux. DSCN0683.jpgLaurène dépasse son dégout et les vide en poussant de petits cris dès qu'ils tressaillent. Le paysage est superbe. De petites falaises surplombent l'eau et nous apercevons une campagne sauvage où seuls quelques villages apparaissent. DSCN0692.JPGParfois, suffisamment près des côtes, le vent emporte l'appel à la prière. Après un cap rocheux assez monumental, nous découvrons un paysage beaucoup plus minéral.

maroc 1978Les plissements géologiques dessinent des lignes parallèles aux mouvements passés de la croûte terrestre. Encore quelques miles et nous abordons une grande baie, notre refuge pour la nuit. maroc-1981.JPGC'est une belle plage, protégée des vents d'Est, avec quelques cabanes de pêcheurs et leurs barques bleues. Nous sommes seuls. maroc 1988Nous venons de passer une des plus apaisantes journée de notre voyage. Diner de poissons, marinés au citron vert...l'endroit s'appelle La cala tramontana.

maroc-1984.JPGAprès une bonne nuit et un bon petit déjeuner, nous nous préparons tous les deux pour aller chasser. Enfin, je vais essayer d'aller chasser et Laurène vient se balader avec moi. Après l'épreuve de l'enfilage de combinaisons, nous plongeons. Tout aurait été parfait si seulement nous n'avions pas été entourés d'une myriade de méduses. Nous avions déjà vu les gentilles bestioles depuis quelques jours mais la cala doit être un repère. Nous parvenons à les éviter et je fais mes premières apnées un peu tendu, ce qui est un peu antinomique. Lors d'une des remontées à la surface, je remarque un autre plongeur. J'ai un peu honte avec mon beau matériel alors qu'il plonge avec une vieille combi toute rapiécée, des palmes dissociés et un masque de supérette. Il a un crochet et recherche des poulpes. Il en a déjà une bonne dizaine. Je l'observe aller au fond et scruter les trous de roches avec son outil. Un nuage d'encre apparaît quand il réussit à en dénicher un.

Attentif à sa technique, j'en oublie mes amies gélatineuses. Une vive douleur au visage, seul endroit non protégé par le néoprène, me rappelle que je ne suis pas seul. Un des longs filaments a réussi à me bruler à la lèvre...je rentre au bateau sur le dos pour éviter une autre mauvaise rencontre.
DSCN0710.jpgMon compagnon plongeur, peut-être par compassion pour ma maladresse, m'offre un beau poulpe. Ce sera très bon en salade se réjouit Laurène à mon retour à bord, peu sensible à ma grave blessure.

Après un dernier panoramique, nous quittons ce petit paradis pour continuer notre périple. Dans deux jours, nous devons être à Tanger, deux amis nous rejoignent de Londres pour un long we. Ils ne fêteront pas le jubilé de leur chère reine au pays...

La météo le permettant, nous décidons de rejoindre notre prochaine étape d'une traite en navigant de nuit. L'appréhension est dépassée et c'est même avec un certain plaisir que nous prenons cette décision.

DSCN0720.JPGAu petit matin, un nouveau petit port de pêche nous accueille. Formalités réduites à leur strict nécessaire, quelques courses sur le marché local, un peu d'internet, un peu de repos. J'en garde le souvenir d'un muezzin avec la voix enrouée. Trop d'appels à la prière sans doute !...demain nous passons Gibraltar, nouvelle épreuve de marin. On nous en a beaucoup parlé et « on » s'y connait.

 

Nous appareillons donc vers 4h du matin. Il y a un horaire de marée à respecter pour éviter de trop forts courants contraires. Nous devons avoir entamé la traversée du détroit avant la mi-journée. Le contact avec nos amis a été confirmé. Objectif Tanger le soir même, soit à la sortie du détroit. Ils arrivent en avion tard dans la nuit. Pas le droit à l'erreur si on ne veut pas les retrouver dépouillés sur les quais de Tanger. Comme il est dit « Tanger, Danger ! ».

Après du gros temps les derniers jours sur l'Ouest, la mer devrait être apaisée. Jusqu'à Ceuta, enclave espagnole sur le territoire marocain, pas de problème. Le poids de l'histoire et les enjeux régionaux se retrouvent dans le puzzle international du détroit. Du côté européen, Gibraltar, bras de terre définissant l'entrée du détroit est une enclave anglaise. En face, Ceuta est espagnole. La partie ouest est marocaine et espagnole en face...il n'y a pas intérêt à se tromper de fanion en accostant ces différents endroits sous peine d'amende !

DSCN0774.JPGPlus nous nous approchons, plus la mer se modifie. Non pas une mer qu'on connaît mais des remous sur une centaine de mètres puis des ondulations toutes lisses comme lorsqu'on rentre le premier dans une piscine laissée au calme. Le courant alterne entre 2 à 4 nœuds de face. Ajouté aux vagues, Filou a dû faire du sur place plusieurs fois. DSCN0745.JPGLes gros Tankers et autres porte-containers sont au mouillage devant d'immenses ports en attente d'être déchargés par des grues colossales. P1010353.JPGSommes nous vraiment à notre place, n'y a t-il pas un petit passage réservé aux voiliers sans prétention ? DSCN0772.JPGHeureusement pour nous, le temps est calme. L'ambiance reste tendue jusqu'à la libération, Tanger est en vue. Quinze heures, il nous aura fallu quinze heures. « Marina de Tanger, marina de Tanger, s'il vous plaît marina de Tanger depuis le voilier Filou... ». Personne.

Lorsqu'enfin une petite voix répond, nous sommes déjà en vue de la digue. « C 'est pas possible. Pas de place. » Puis plus rien...pas de place, c'est ce qu'on va voir. Au ralenti, furtivement, dans une odeur de poisson mélangé au mazout, Filou glisse dans les eaux sales du port. Des bateaux de l'armée, des ferrys, des chalutiers sont pèle-mêles, entassés. Il y a des travaux dans le port d'où le manque criant de places. Nous apercevons enfin un voilier. Il arbore fièrement le Gwen Ha Du, les blanches hermines. Les bretons sont dans la place ! Je force le trait et d'un « dermat » (bonjour...) dans le texte, nous demandons à nous mettre à couple. Malgré l'heure tardive, j'ai droit au passage devant le gendarme ou le policier ou la douane locale...je ne sais jamais à qui j'ai à faire. De toute façon, il faudra faire et répéter les choses autant de fois. Plus une visite à bord, plus une explication sans fin sur notre parcours, notre métier...une consultation gratuite...bah pendant que vous y êtes. « Alors c'est ma femme, en 2003,... » Laurène, c'est pour toi.

P1010333La nuit a été courte. Manue et Boris arrivent après deux heures de repos. Il est déjà bien tard. Eux aussi ont bataillé avec leurs avions, plusieurs avions...

Demain, tout à l'heure, bientôt, nous quitterons Tanger, trop compliqué. 

Publié dans Maroc

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