Retours aux Tuamotus

Publié le par filou-from-mars

Il est des endroits qui vous rappellent, qui ont cette force interne de vous ramener à eux. Les atolls des Tuamotus en font partie. Pourtant, à première vue, ces petits anneaux de terre émergés sont tout sauf accueillants. D’accès dangereux pour qui vient de la mer, ils ont même longtemps été évités par les marins, de peur de finir la coque éventrée sur leur barrière de corail à peine visible dès qu’il y a un peu de mer. L’eau douce y est rare, la culture quasiment impossible à part quelques cocotiers, la seule ressource se cantonnant à l’halieutique : ferme perlière et pèche. La perliculture subissant une grave crise depuis quelques années, c’est tout un territoire polynésien qui a souffert. Finalement, ce n’est que tardivement, l’expédition du commandant Cousteau ayant dû jouer un rôle capital, que les Tuamotus ont pris un certain essor centré essentiellement sur l’exploration sous-marine. En effet, c’est parmi les endroits au monde où la vie sauvage y est aussi dense.

C’est avec cette idée fixe en tête que nous abordons les côtes de Tikehau au lever du jour, premier atoll dans notre périple. Jérome et moi sommes de quart, il n’y a pas un souffle de vent et le moteur ronronne tranquillement alors que se profilent les premiers motus, petits îlots émergés de l’anneau de corail où poussent généralement des cocotiers. De loin cela donne des petits épis verts sur un horizon d’océan. C’est l’unique moyen de savoir qu’à cet endroit il y a une île, le reste de l’anneau corallien affleurant le plus souvent la surface.

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Nous réveillons Laurène et Loïc aux abords de la seule passe de l’île. Le fait que ce soit l’unique contact entre le lagon et l’océan fait qu’il est impossible de prévoir les heures de marée. En effet, le cycle lunaire influe comme partout pour la montée et descente des eaux. Cependant un autre facteur entre en jeu, le remplissage de l’atoll par la houle sur la face offerte au vent. Si celle-ci est suffisamment importante, les vagues dépassent la barrière de corail et l’eau monte dans le lagon. Aussi, le courant est beaucoup plus souvent sortant pour permettre de vider cette grande vasque naturelle. Un véritable mascaret apparaît alors à la sortie de la passe, mascaret qui peut se transformer en véritable bouillon s’il affronte un vent contraire rendant ainsi l’entrée de l’atoll infranchissable. Etant donné le calme qui règne, je ne suis pas inquiet outre mesure mais reste vigilant quant à la force du courant. Après quelques hésitations sur le sens de celui-ci, nous finissons par constater qu’il est sortant et qu’il nous faut accélérer pour le contrer. La passe n’est pas très large, moins d’une centaine de mètres au plus étroit. Laurène et Loïc se postent à la proue de Filou pour m’indiquer les fonds et les éventuels écueils.

Photos navigation , accès passe

Cette première navigation n’aura finalement duré que trente petites heures et c’est dans un vrai lac intérieur que nous posons l’ancre. Loïc et Jérôme prennent à peine le temps d’avaler un café et s’équipent aussitôt pour aller explorer les alentours. Nous les rejoignons quelques temps après au cœur de la passe. C’est l’étale, moment de transition entre deux marées où le courant s’annule. L’eau est translucide et nous voyons aisément le fond à près de 25 mètres. Nous avons nos fusils pour tenter une petite chasse. Chacun notre tour, nous descendons dans l’espoir de remonter une belle prise. Un banc de petits barracudas, des sérioles je crois, nous accueille. La vie foisonne ici. Nous apercevons quelques requins mais ils restent à distance.

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Jérôme est au fond, plus de 20 mètres sous nous quand j’entends le claquement de son arbalète. Il a fait mouche. Par contre, il n’a pas pu « sécher » le poisson tiré et celui-ci, pourtant transpercé de part en part, se réfugie sous une patate de corail. Jérôme dévide le moulinet relié à la flèche alors qu’il remonte. Soudain, alors que cela ne fait pas dix secondes que le coup est parti, je vois deux puis trois requins pointe blanche de récif, les « tapétés » comme ils disent phonétiquement foncer vers le poisson blessé. Je tente de crier à Jérôme qu’un requin arrive mais il ne m’entend pas. Je saisie mon couteau et plonge le rejoindre sous l’eau. Si le requin réussit à prendre la proie, il va emporter la flèche et le fusil par la suite. Il me faut rapidement sectionner le filin qui relie les deux. Je ne quitte pas des yeux les squales qui sont bien plus rapides que moi. Le plus gros d’entre eux, 2m50 approximativement s’est déjà emparé de notre poisson. Il secoue violemment la proie rompant net le montage. Jérôme n’a pas encore rejoint la surface que notre requin est déjà loin. La flèche aussi. Il nous faudra de longues minutes et de nombreuses apnées pour retrouver par chance la flèche à plusieurs mètres de là. Le nylon a été sectionné aussi précisément qu’avec une lame. Nous acceptons donc la règle proposée : ici, c’est le domaine des requins. Nous nous laissons alors tranquillement portés par le courant qui est maintenant rentrant. La visibilité baisse au fur et à mesure que le courant se renforce laissant place à une eau presque laiteuse une fois celui-ci bien installé.

 

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Nous posons pied à terre sur ce qui fût il y a des années le village principal de l’île. Détruit par un cyclone, il a été reconstruit plus au sud sur l’atoll, à une demi-heure de bateau à moteur. Aujourd’hui, il ne reste qu’une ou deux familles qui vivent là, le reste des maisons étant à l’abandon. Les pécheurs s’y arrêtent parfois au retour de leur sortie en mer. Nous allons discuter avec un vieux monsieur assis dans sa maison pour savoir quels poissons sont comestibles. Il rigole volontiers quand nous lui expliquons notre mésaventure dans la passe. Par contre, ne connaissant pas le nom polynésien des poissons, nous ne saurons pas quel poisson est bon à manger. Nous récupérons deux ou trois noix de coco avant de rejoindre notre bateau.

 

Nous passons une première nuit dans une eau étonnement calme.

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La plongée que nous faisons le lendemain sur le tombant à l’extérieur de la passe est un avant-goût de ce que nous allons voir sur les trois prochaines semaines. Le parterre corallien est dense, la faune fixée comme il faut dire, formant des architectures spectaculaires arborescente parfois, en rosasse ou choux fleur d’autres fois. Les poissons multicolores qui y demeurent sont habitués à nos bulles et s’approchent facilement ou nous regardent de leurs grands yeux. Les requins ne sont pas loin mais sur cette plongée, restent à distance raisonnable.

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Mais le plus mémorable sur cet atoll reste la rencontre avec les raies Manta. L’intérieur du lagon est suffisamment profond, souvent plus de 20 mètres pour qu’elles y soient à leur aise, à la fois protégées des fortes tempêtes quand elles sévissent tout en ayant à leur disposition une eau riche en plancton, base de leur alimentation. De plus, elles peuvent venir se faire déparasiter à l’abri des grands prédateurs pélagiques comme les requins marteau ou tigre, qui sont plus en pleine eau à l’extérieur. C’est là que nous allons à leur rencontre. Le site de déparasitage est autour d’un motu au cœur de l’atoll. Ancienne ferme perlière en ruine, il ne reste qu’un petit bâtiment et quelques piquets qui dépassent de l’eau. A moins de cinq mètres sous l’eau, de grosses patates de corail hébergent les labres, les petits poissons nettoyeurs. Les raies viennent survoler ces patates, se mettent en stationnaire au-dessus pour que ces petits poissons puissent œuvrer. Ils investissent alors leur immense gueule, se faufilent dans les branchies et nettoient les petits parasites fixés sur la raie.

Nous n’avons qu’à nous immerger à la base des patates pour observer le spectacle.

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Seuls avec Filou sur le site durant près de deux jours, nous avons passé de longues heures auprès de ces animaux assez difficile à observer par ailleurs. Loïc a même eu une révélation mystique lorsque nous sommes allés déjeuner, le laissant seul avec les mantas. L’espace de quelques heures, il s’est muté en animal aquatique et s’est offert une véritable danse avec les raies…Le Kevin Costner des fonds bleus. Si la réincarnation existe, Loïc sera une majestueuse Manta ou ne sera pas. A son retour, sur le bateau, un sourire figé marque son visage…nous n’en serons que ce qu’il voudra bien nous en dire…

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La prochaine étape est à quelques miles à l’Est. Et c’est bien le problème. Après ce calme plat, les vents dominants, c’est-à-dire d’Est, ont repris et c’est donc face au vent que nous allons devoir progresser. Dans ces cas-là, il faut plus que doubler la distance pour évaluer la durée de la traversée. Ce qui se passe pour nous. La navigation est assez difficile, les vagues heurtant bruyamment de face la coque de Filou rendant le sommeil presque impossible tant le bateau bouge. Après deux nuits de lutte, nous approchons la passe Est de Rangiroa. Elle est beaucoup plus impressionnante qu’à Tikehau. La mer est assez formée et c’est dans un bouillon impressionnant que Filou doit lutter contre le courant sortant. Il nous faut l’appui du moteur en plus des voiles pour petit à petit progressé jusqu’au lagon. Deux gros dauphins viennent se frotter à l’étrave comme pour nous accueillir.

C’est épuisés que nous posons l’ancre près de la fameuse passe de Tiputa, certainement l’une des passes les plus connues au monde pour ses plongées dérivantes.

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Publié dans Pacifique

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S
... tu me mets le cafard avec tes articles...!<br /> Comme à chaque fois c un plaisir de suivre vos aventures les copains:-) (en verité je marrone grave;-))<br /> Allé kiffez bien les loulous, et reservez nous le meilleur pour la fin!<br /> Bisous à vous 2!<br /> Sylvain<br /> <br /> Ps: et svp, souple avec les raies manta!
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